MIGRATIONS ANIMALES

MIGRATIONS ANIMALES
MIGRATIONS ANIMALES

Bien que très diversement partagée selon les groupes zoologiques, la faculté de se mouvoir est une des caractéristiques fondamentales des animaux. Lorsque des individus ou des populations couvrent de longues distances, sans jamais revenir à leur lieu d’origine, les déplacements sont dits acycliques. Il s’agit d’émigrations ou d’expansions géographiques si une espèce modifie son aire de répartition, et particulièrement son aire de reproduction, pour des raisons naturelles ou dues à l’influence humaine (introductions suivies d’acclimatations). Les invasions , ou irruptions , sont toujours très irrégulières dans le temps et dans l’espace. Les animaux apparaissent en grand nombre dans une aire déterminée, y demeurent un certain temps, puis en disparaissent. De telles invasions peuvent être suivies d’une réduction numérique massive des populations; on peut considérer ces faits comme des adaptations à des pénuries alimentaires et un moyen d’éliminer des effectifs excédentaires.

Au contraire, d’autres déplacements sont beaucoup plus réguliers et coïncident avec les phases cruciales du cycle vital d’un animal; ils comportent toujours un retour vers le point de départ. Ils méritent seuls le nom de migrations , qui seront donc définies comme un ensemble de déplacements périodiques intervenant entre une aire de reproduction qualifiée de patrie, et une aire où l’animal séjourne un temps plus ou moins long, en dehors de la période de reproduction, et qu’il quitte ensuite pour retourner dans la première. La caractéristique principale des migrations est leur régularité et le fait qu’elles comportent un voyage de retour. Les distances parcourues sont en revanche très variables, allant de quelques dizaines à des milliers de kilomètres. Dans beaucoup de cas, les mouvements ont une orientation bien définie; dans d’autres, ils s’effectuent selon des directions centrifuges et prennent alors l’allure d’une dispersion à grande échelle.

Chez beaucoup d’animaux (la plupart des oiseaux et des mammifères, de nombreux poissons), le cycle des migrations est annuel et se trouve en relation directe avec le cycle des saisons. Pour d’autres espèces (anguilles, saumons), ayant une longue durée de vie, mais une seule période de reproduction, le cycle s’étend sur toute la vie de l’individu, qui revient à son lieu de naissance pour se reproduire et mourir. Chez d’autres animaux encore, tels les insectes, à vie courte mais dont les populations se renouvellent très rapidement, les migrations sont effectuées par des générations successives dont l’importance numérique est le plus souvent variable

La plupart des migrations comportent des mouvements horizontaux à la surface de la terre. Quelques-unes sont verticales, telles celles des animaux aquatiques qui se déplacent des couches profondes vers les eaux superficielles en fonction des saisons. Quelques oiseaux et mammifères se livrent à des migrations altitudinales, en allant des zones élevées où ils nichent aux plaines où ils hivernent. Dans les Alpes, c’est le cas du tichodrome (Tichodroma muraria ) et de l’accenteur alpin (Prunella collaris ).

Les migrations animales revêtent une très grande diversité en fonction des espèces et des conditions locales, et aussi d’année en année. Elles représentent une réponse des animaux à des facteurs changeants de leur habitat. Bien que particulièrement répandues dans les zones froides, elles se manifestent dans le monde entier, même dans les régions intertropicales. Leur importance biologique est considérable sur le plan théorique et sur le plan pratique; l’intérêt économique des migrations est évident.

1. Méthodes d’étude

Les migrations des animaux présentent un très grand intérêt scientifique. Elles conduisent à localiser géographiquement les aires occupées aux diverses phases du cycle annuel, les voies le long desquelles elles s’effectuent, les vitesses et les modalités des déplacements. Elles posent les problèmes de leur déterminisme physiologique et des possibilités d’orientation qui touchent la biologie fondamentale.

Du point de vue économique, il convient par exemple de connaître les déplacements des criquets migrateurs, dangereux ravageurs de cultures en région tropicale, de manière à pouvoir les exterminer dans leurs lieux d’origine avant qu’ils n’aient commis des dégâts. D’autre part, la connaissance des migrations des animaux marins permet de faire varier les lieux de pêche en fonction des saisons. L’aménagement cynégétique de la sauvagine migratrice et la détermination des contingents ouverts à la chasse doivent être conçus en fonction de l’aire totale d’une population et de la pression s’exerçant sur elle tout au long de son cycle de migration.

Diverses méthodes sont appliquées à l’étude des migrations. La plus simple consiste en une observation attentive de ce que l’on appelle la migration visible, c’est-à-dire l’étude des migrateurs en cours de déplacement. Les observateurs, groupés en réseaux, notent l’identité des espèces aperçues, leur nombre, leur direction de vol et leur comportement. Les diverses données font ensuite l’objet d’une synthèse. L’étude des migrations nocturnes des oiseaux a beaucoup progressé du fait de l’utilisation du radar, qui permet l’étude des modalités des déplacements bien que l’identité des migrateurs ne puisse être établie directement.

L’observation des migrations est cependant insuffisante, car il est capital de pouvoir suivre un individu déterminé dans ses déplacements propres et de savoir avec précision où un sujet, reproducteur dans une région donnée, se réfugie pendant le reste de son cycle. Cette reconnaissance individuelle nécessite un marquage, qui consiste à placer des signes distinctifs aux animaux. Les premiers essais ont été faits vers 1890, sur l’initiative du Danois Christian Mortensen, sur des oiseaux à la patte desquels on fixa des bagues numérotées. Les bagues actuelles, de taille proportionnée à celle de l’oiseau, sont des anneaux de métal léger, résistant à l’usure et à l’attaque par l’eau de mer; elles portent des indications comprenant l’adresse abrégée de l’organisme responsable du baguage et un système de lettres et de numéros permettant l’identification précise de l’individu. Les baleines sont marquées à l’aide de tiges métalliques portant des numéros d’identification, fichées dans la graisse à l’aide d’un fusil spécial. Les mammifères sont munis de boutons aux oreilles, eux aussi porteurs de chiffres permettant la reconnaissance individuelle. Les poissons sont marqués aux nageoires. Chez les insectes, des marques très légères sont collées sur les ailes ou le corps. Par ailleurs, au cours de certaines expériences, le corps de l’animal, notamment le plumage des oiseaux, est teint artificiellement, ce qui permet de reconnaître non pas un individu, mais une population, sans avoir à procéder à des captures successives. Les colliers et autres marques colorés selon un code, fixés sur des mammifères, ont le même but.

Ces marquages doivent porter sur un grand nombre d’individus, car la probabilité d’une recapture est faible. (Elle ne dépasse pas 1 p. 100 dans le cas de nombreux passereaux.) Aussi sont-ils entrepris par des organismes nationaux, tels que le Centre de recherches sur les migrations des mammifères et des oiseaux en France, qui procède à quelque 300 000 baguages annuels. Des dizaines de millions de bagues ont été posées aux États-Unis sur des oiseaux, et les marquages de poissons concernent des effectifs de même ordre.

Les organismes nationaux sont groupés sur le plan international, car ils ne peuvent travailler qu’à une échelle mondiale ou du moins continentale du fait de l’ampleur de la plupart des migrations. C’est ainsi qu’en Europe a été créé l’Euring qui regroupe tous les centres de baguage des oiseaux.

Les résultats dépendent du retour des bagues ou marques fixées sur les animaux; le devoir de tous ceux qui en trouvent est de les retourner aux autorités scientifiques responsables, accompagnées des indications sur les circonstances de captures.

Enfin, des recherches spécialisées touchant à certains aspects des migrations font appel à des techniques particulières, très variables suivant les cas, notamment en vue d’étudier les problèmes touchant à la physiologie et à l’orientation.

2. Principaux migrateurs

Pour que les comportements migratoires puissent être l’objet d’une sélection au cours de l’évolution, il faut qu’ils présentent un réel avantage pour les animaux. Les migrations doivent être rapides et ne pas impliquer une dépense d’énergie excessive. Les déplacements dans un fluide, l’eau et surtout l’air, sont particulièrement économiques, car ils s’effectuent avec un rendement énergétique très satisfaisant. Il n’en est pas de même des déplacements terrestres, la marche exigeant une consommation d’énergie considérable pour une progression relativement lente sur de grandes distances. De ce fait, les migrateurs se rencontrent principalement parmi les animaux aquatiques ou aériens.

Invertébrés

De nombreux invertébrés marins se déplacent sur des distances appréciables en fonction des saisons. Ils le font souvent de façon passive puisque les organismes planctoniques sont simplement emportés par les courants marins.

Les Annélides Polychètes changent annuellement d’habitat, ce que l’on peut considérer comme une véritable migration. Le long des côtes d’Europe, les Nereis qui se tiennent habituellement parmi les rochers et les algues deviennent planctoniques pendant l’été et nagent dans les eaux superficielles où s’effectue leur reproduction. En Océanie, notamment aux Samoa et aux Fidji, les palolos (Eunice viridis ), Annélides vivant au milieu des coraux, différencient des segments bourrés de cellules génitales qui montent en surface avec régularité le premier jour du dernier quartier de la lune d’octobre-novembre.

Chez de nombreux Crustacés, les femelles parcourent jusqu’à 200 km pour se rapprocher des côtes et y pondre leurs œufs, revenant ensuite en eau profonde où demeurent les mâles plus sédentaires. Les crabes d’eau douce reviennent en eau salée ou saumâtre au moment de la reproduction. C’est notamment le cas d’Eriocheir sinensis , le «crabe chinois», qui, après avoir vécu de trois à cinq ans en eau douce, migre vers les eaux salées où la reproduction s’effectue à quelques kilomètres des côtes. Les jeunes passent une année en mer, puis migrent vers les fleuves qu’ils remontent pour s’établir dans les eaux douces. Quelques crabes tropicaux devenus terrestres, comme les Georcarcinus , migrent eux aussi vers la mer au moment de la ponte.

Nombreux sont les insectes réputés migrateurs, surtout parmi les Orthoptères et les Lépidoptères. Toutefois, les migrations véritables sont moins répandues parmi eux que d’autres formes de déplacement. On ne saurait véritablement qualifier de migrations les déplacements de certains insectes à durée de vie courte (une saison) qui désertent leurs lieux d’éclosion, pondent dans d’autres stations et y meurent. Les mieux connus de ces Arthropodes sont les criquets migrateurs (Schistocerca gregaria ) et espèces voisines, propres aux régions tropicales et subtropicales de l’Ancien Monde. Les formes grégaires, distinguées par des différences importantes de morphologie, de coloration, de physiologie et de comportement, sont issues de générations sédentaires, et éclosent dans des zones bien définies dites grégarigènes. La reproduction a lieu au printemps dans le nord de l’Afrique, au Moyen-Orient, au Pakistan et en Afrique orientale; en été et en hiver au sud du Sahara, du Sénégal à l’Éthiopie, et en Inde. Les vols de jeunes criquets se déplacent en fonction des vents dominants d’une zone de reproduction à une autre, parcourant jusqu’à 4 000 km en deux mois. Ils forment de véritables nuages comptant jusqu’à 10 milliards d’individus et s’étendant sur 1 000 km2.

Des déplacements de ce type sont effectués par certains papillons diurnes, dont 250 espèces au moins sont connues à ce titre. En Europe, le souci (Colias croceus ), le vanesse Vulcain (Vanessa atalanta ), et la belle-dame (Vanessa cardui ) remontent chaque année vers le nord pendant l’été, bien que ne s’y reproduisant pas. La plupart de ces mouvements, n’étant pas suivis de voyage de retour, ne peuvent pas être considérés comme de véritables migrations.

Il n’en est pas de même des déplacements opérés par certains insectes qui partent d’une aire de reproduction, vont s’alimenter dans une autre aire où leurs gonades se différencient, puis reviennent à l’aire originelle, ou à des aires similaires, déposer leurs œufs. C’est le cas des hannetons (Melolontha melolontha ), dont les lieux de ponte et de nourrissage sont nettement distincts; c’est encore le cas des moustiques, qui partent à la recherche du sang nécessaire aux femelles pour la maturation de leurs œufs, et qui reviennent ultérieurement aux lieux favorables à la ponte. Les distances parcourues sont faibles, et souvent ces déplacements ne constituent que de simples changements d’habitat. Leur régularité permet néanmoins de les considérer comme des migrations véritables.

Le caractère migratoire est accentué chez certains insectes à longue durée de vie qui se rendent des lieux de reproduction à des stations d’hivernage ou d’estivage parfois situées en dehors de la zone favorable à la reproduction. Ils reviennent au lieu de départ après une diapause de durée variable. C’est le cas des doryphores (Leptinotarsa decemlineata ) dont le tempérament migrateur a certainement favorisé l’extension. En Californie, les coccinelles Hippodamia convergens se déplacent régulièrement entre le fond des vallées, où les adultes apparaissent en mai, et les zones montagneuses élevées (sierra Nevada), où elles passent la fin de l’été et l’hiver en se groupant en amas comptant jusqu’à 30 millions d’individus.

Le déplacement précédant la diapause s’étend parfois sur des milliers de kilomètres. Le cas le mieux connu est celui du papillon Danaïs d’Amérique du Nord (Danaus plexippus ), dont le nombre de générations annuelles varie de 5 dans le sud de l’habitat à 1 dans le nord. Pendant l’été, l’espèce se répand jusqu’aux approches de la baie d’Hudson, puis à l’automne ses populations nordiques se retirent en Floride, au Texas et en Californie, parcourant jusqu’à 3 000 km pour hiverner dans des lieux abrités, notamment sur certains arbres où ces papillons se rassemblent en amas denses. Au printemps suivant, une partie repart vers le nord, les secteurs septentrionaux de l’habitat étant colonisés par les générations successives.

Poissons

De nombreux poissons marins se livent à des déplacements saisonniers, et parmi eux beaucoup d’espèces de grande importance économique. Plusieurs catégories de migrateurs peuvent être distinguées.

Les poissons océanodromes vivent et migrent entièrement au sein des océans, avec des modalités variables selon les espèces. Les harengs (Clupea harengus ) demeurent en permanence dans un secteur déterminé des mers, mais s’y déplacent en fonction des saisons, chacune de leurs populations ayant un comportement migratoire déterminé et ne se mélangeant pas à ses voisines. En mer du Nord, l’ensemble de l’espèce ne se déplace pas du nord au sud comme on l’a cru tout d’abord. Chacune des populations locales manifeste un comportement migratoire particulier. Les harengs qui se reproduisent en août et septembre au large de l’Écosse émigrent ensuite vers le sud-ouest de la Norvège. Les harengs du Dogger Bank se reproduisent en septembre-octobre dans le centre de la mer du Nord et au large des côtes anglaises, puis migrent vers le Skagerrak. Les harengs de Downs se reproduisent de novembre à janvier au large des côtes françaises (Dunkerque, Fécamp), puis vont passer l’été dans le centre et le nord de la mer du Nord. Ces diversités de comportement sont en rapport avec les variations des conditions océanographiques et avec les dates où se manifeste la transgression océanique annuelle: les harengs sont confinés aux eaux froides et peu salées et en suivent les fluctuations.

Les morues (Gadus morhua ) se livrent à des migrations qui les mènent des mers arctiques baignant le Spitzberg et la Nouvelle-Zemble vers des districts plus méridionaux, et notamment les îles Lofoten, au large de la Norvège, une de leurs principales zones de reproduction. Au printemps, elles repartent vers le nord. Des déplacements similaires ont lieu dans le secteur américain (Terre-Neuve) et au large du Groenland.

Les thons blancs (Germo alalunga ) occupent en hiver les eaux situées au niveau des Açores et des Canaries, leur aire de reproduction, et vont passer l’été jusqu’en Islande. Les thons rouges (Thunnus thynnus ) se reproduisent en mai-juin en Méditerranée occidentale et se répartissent en été sur une aire considérable à travers l’Atlantique et les mers arctiques.

D’autres poissons changent plus radicalement de milieu et vont de la mer aux eaux douces ou inversement. De telles espèces dites diadromes doivent donc présenter des adaptations physiologiques précises, notamment une résistance aux variations de salinité. Les saumons (Salmo , Oncorhynchus ) constituent le meilleur exemple de poissons anadromes vivant en mer et se reproduisant en eau douce. Ils pondent leurs œufs dans les eaux froides et richement oxygénées du cours supérieur des rivières. Les alevins grandissent tout en entreprenant une migration vers l’aval. Ils séjournent en mer de deux à trois ans, parfois moins. Devenus adultes, ils reviennent vers les eaux douces dont ils remontent le cours pour atteindre leurs lieux de frai. Les saumons de l’Atlantique accomplissent à plusieurs reprises le voyage de reproduction alors que leurs homologues du Pacifique ne l’effectuent qu’une fois au cours de leur vie.

Les distances parcourues sont considérables. Dans le Pacifique, les saumons ont une distribution pélagique dans la zone comprise entre 450 et 650 de latitude nord, les populations asiatiques et américaines se mélangeant en grande partie. La proportion d’individus revenant aux lieux de reproduction est faible, en raison d’une mortalité élevée en mer. Les saumons reviennent pour la plupart dans le cours d’eau où ils sont éclos. Cette fidélité à un bassin fluvial et à un lieu de frai précis a déterminé la formation de races locales reconnaissables à des caractères morphologiques et biologiques. Des adultes provenant d’œufs transplantés expérimentalement dans un autre bassin reviennent dans les eaux où ils ont grandi, et non dans celles où ils ont été pondus. L’orientation des saumons au cours de leurs migrations fait avant tout appel à des repères olfactifs. Grâce à un conditionnement acquis au cours des premiers stades de développement, les saumons sont capables de reconnaître l’«odeur» de la rivière dont ils sont originaires, en percevant la présence de substances dissoutes à doses infinitésimales.

D’autres poissons, dits catadromes , ont une migration en sens inverse de celle des saumons: passant la plus grande partie de leur vie en eau douce, ils vont se reproduire en mer. Les plus connus sont les anguilles d’Amérique (Anguilla rostrata ) et d’Europe (A. anguilla ), qui, selon la théorie classique, ne se reproduisent que dans la mer des Sargasses, dans l’Atlantique (fig. 1). Les larves pélagiques, dites leptocéphales, aplaties et transparentes, sont emportées par les courants marins. Les larves des anguilles européennes grandissent alors qu’elles sont charriées par le Gulf Stream pendant environ deux ans et demi. Une métamorphose les transforme en civelles cylindriques qui s’amassent par millions (cordons ) aux embouchures des fleuves dont elles remontent le cours. Dans les eaux douces, elles deviennent des anguilles jaunes qui, au bout de dix à quinze ans, se transforment en anguilles argentées pourvues d’yeux énormes. Elles redescendent alors les rivières, en direction de la mer des Sargasses où elles pondent et meurent.

Cette migration de retour n’a pas été démontrée formellement pour l’anguille d’Europe qui, d’après certains, ne se reproduirait pas et ne reviendrait pas à ses lieux d’éclosion. Les deux «espèces» atlantiques ne seraient qu’une seule forme dont les populations européennes se maintiendraient grâce aux reproducteurs venus d’Amérique.

Reptiles et Amphibiens

Les Reptiles et les Amphibiens ne sont pas capables de se déplacer aisément sur de grandes distances. De plus, leur adaptation à lutter contre les conditions défavorables du milieu ambiant réside surtout en une léthargie hivernale qui leur permet de réduire radicalement leurs dépenses énergétiques.

Les seuls mouvements à allure de migration sont effectués par les espèces terrestres au moment de la reproduction, pour laquelle certaines changent d’habitat. Les grenouilles et les crapauds se concentrent en des points privilégiés, puis se dispersent après la reproduction. Les tortues d’eau, telles que les arraus sud-américaines (Podocnemis expansa ), migrent véritablement le long des cours d’eau pour aller pondre sur des bancs de sable bien localisés; leurs troupes sont si denses qu’elles font obstacle à la navigation. Les tortues terrestres des îles Galapagos (Geochelone elephantopus ) se rendent des zones humides élevées aux zones basses arides qui constituent leurs lieux de ponte, parcourant une quarantaine de kilomètres en terrain accidenté.

Les tortues marines, jouissant de facultés de déplacement beaucoup plus développées du fait de leur vie aquatique, se livrent à des migrations de grande amplitude. Elles se concentrent sur certaines plages sablonneuses pour y pondre leurs œufs; elles s’éloignent ensuite jusqu’à 2 000 km et plus.

Oiseaux

C’est sans doute chez les oiseaux que les comportements migratoires atteignent leur complexité et leur amplitude maximales. Ces vertébrés sont étroitement tributaires des conditions du milieu, en raison de leur métabolisme intense et de leurs besoins alimentaires spécifiques. Certaines zones du globe ne peuvent leur assurer tout au long de l’année la quantité et la qualité de nourriture nécessaire. En outre, ils sont capables de se déplacer vite et loin avec de faibles dépenses d’énergie. Ils peuvent évacuer rapidement les habitats devenus défavorables et y revenir dès que les conditions sont à nouveau propices.

Migrations des oiseaux des pays tempérés

Les oiseaux européens illustrent bien comment une avifaune s’est adaptée aux fluctuations saisonnières du climat et des quantités de nourriture disponible. Les populations nordiques et orientales de beaucoup d’espèces sont plus nettement migratrices que celles d’Europe occidentale, à cause des conditions hivernales plus rigoureuses dans leur aire de reproduction. C’est ainsi que les mésanges (Parus ), les merles (Turdus merula ) et les étourneaux (Sturnus vulgaris ) sont généralement sédentaires en France et en Grande-Bretagne, alors qu’ils sont franchement migrateurs en Europe moyenne et orientale. La partie occidentale du continent et l’Afrique du Nord, où les hivers sont tempérés, constituent leurs quartiers d’hiver principaux. Beaucoup d’oies et de canards des Pays-Bas et de Grande-Bretagne hivernent au Portugal pour les mêmes raisons.

De plus, comme partout à travers le monde, les espèces végétariennes (surtout granivores) ou omnivores sont nettement plus sédentaires que les espèces insectivores. Leurs aliments sont en effet encore disponibles pendant l’hiver, alors que les insectes sont rares ou même absents. Cela explique que les espèces à régime insectivore évacuent leur aire de reproduction en zone tempérée et qu’elles hivernent pour la plupart sous les tropiques. Si quelques-unes, comme la fauvette à tête noire (Sylvia atricapilla ), hivernent dans le bassin méditerranéen, la plupart des Sylviidés, les gobe-mouches, beaucoup de bergeronnettes (Motacilla ), les pies-grièches écorcheurs (Lanius collurio ), les loriots (Oriolus oriolus ), les hirondelles et les martinets se réfugient en Afrique tropicale (fig. 2). L’Afrique constitue le quartier d’hiver de quelques canards, comme la sarcelle d’été (Anas querquedula ) et le pilet (A. acuta ), de certains Ardéidés, comme le héron pourpré (Ardea purpurea ) et les aigrettes, des grues (Grus grus ), de quelques rapaces insectivores comme le faucon crécerelette (Falco naumanni ) ou piscivores comme le balbuzard (Pandion haliaetus ).

Les principales routes de migration sont orientées soit vers le sud-ouest (150 espèces les suivent en automne), soit vers le sud-est, du fait de la configuration du massif alpin et de la barrière que constitue la Méditerranée. Cela est particulièrement net dans le cas des cigognes (Ciconia ciconia ) dont les populations nichant à l’ouest de la Weser migrent à travers la France, la péninsule Ibérique et le détroit de Gibraltar en direction de l’Afrique occidentale, tandis que les autres (de loin les plus nombreuses) empruntent une voie traversant le Bosphore et le Proche-Orient pour se rendre en Afrique orientale et australe. Le choix de ces deux itinéraires est déterminé par l’aversion des cigognes à survoler les mers.

Les oiseaux nichant en Amérique du Nord ont à faire face aux mêmes conditions hivernales que leurs homologues européens. L’avifaune néarctique est d’autant plus migratrice qu’elle comporte une forte proportion d’éléments d’origine tropicale (tangaras, oiseaux-mouches). Si beaucoup d’oiseaux peuvent hiverner dans les régions bordant le golfe du Mexique, au climat très favorable, de nombreux migrateurs vont se réfugier jusqu’en Amérique centrale, du Mexique à Panama, mais peu atteignent l’Amérique du Sud, à quelques exceptions près: le plus remarquable est le pluvier doré américain (Pluvialis d. dominica ), dont la route de migration forme une boucle énorme à travers le Nouveau Monde, de l’Alaska à l’Argentine, et comporte un trajet océanique de quelque 3 800 km entre le Labrador et le Brésil.

Migrations des oiseaux tropicaux

Les espèces propres à la grande forêt équatoriale humide sont dans l’ensemble sédentaires ou du moins erratiques seulement à l’intérieur d’un périmètre très limité. Les conditions de ce milieu sont en effet relativement constantes, ce qui n’oblige pas les oiseaux à des déplacements saisonniers. Ce n’est pas le cas des espèces nichant dans les savanes. Au cours du cycle annuel, la succession régulière de pluies et de saisons sèches entraîne d’amples fluctuations de la quantité de nourriture disponible et des autres conditions du milieu. Les espèces insectivores ou frugivores, si nombreuses sous les tropiques, y sont particulièrement sensibles, alors que les granivores sont capables de se sustenter sur place toute l’année. Ces facteurs expliquent que l’avifaune des savanes est en grande partie migratrice partout à travers le monde et plus spécialement en Afrique où une série de zones climatiques sont disposées régulièrement de part et d’autre de l’équateur. Certains migrateurs ne traversent pas cette ligne, comme l’engoulevent à balancier (Macrodipteryx longipennis ) qui niche dans une bande longeant la forêt équatoriale du Sénégal au Kenya et migre vers le nord pour éviter la saison humide. Au contraire, l’engoulevent terne (Caprimulgus inornatus ) niche en savane sèche, du Mali à la mer Rouge et au Kenya, pendant la saison des pluies, et migre plus au sud pendant la saison sèche.

D’autres migrateurs traversent l’équateur et bénéficient ainsi de l’inversion des saisons dans les deux hémisphères. Telle la cigogne d’Abdim (Sphenorhynchus Abdimi ), qui niche du Sénégal à la mer Rouge, pendant les pluies, et «hiverne» dans la majeure partie de l’Afrique australe (cf. AFRIQUE Biogéographie). D’autres se livrent à des déplacements en sens inverse.

Migrations des oiseaux de mer

Les conditions des habitats marins sont également soumises à des fluctuations annuelles d’amplitude parfois considérable en un même lieu, se reflétant dans la quantité de nourriture disponible. De plus, la concentration des oiseaux en d’énormes colonies pendant la période de reproduction est susceptible d’entraîner une diminution des ressources alimentaires spécifiques dans les mers limitrophes. Les oiseaux marins sont donc eux aussi migrateurs et certains d’entre eux effectuent les déplacements saisonniers les plus lointains.

Il convient toutefois de faire une distinction entre espèces littorales et pélagiques. Beaucoup d’oiseaux, tels les guillemots, les pingouins, les cormorans, les fous et les goélands, ne quittent guère le plateau continental. En dehors de la saison de reproduction, leurs déplacements ont l’allure d’une vaste dispersion orientée vers les zones les plus favorables. C’est ainsi que les fous de Bassan (Sula Bassana ) de Grande-Bretagne se dispersent en hiver jusqu’aux côtes du Sénégal.

Les oiseaux pélagiques, et principalement les Procellariiformes (puffins, pétrels et albatros), effectuent des migrations de bien plus grande envergure, et certains parcourent la totalité des océans. Ainsi le pétrel à bec grêle (Puffinus tenuirostris ), qui niche en colonies énormes dans le sud de l’Australie et en Tasmanie, migre à travers le Pacifique occidental jusqu’au Japon (fig. 3), et «hiverne» de juin à août dans le nord du Pacifique et même au-delà du détroit de Béring. Il retourne à ses territoires de nidification en suivant les côtes américaines, puis traverse l’océan en diagonale. Cette énorme boucle semble dictée par les vents dominants, les oiseaux se déplaçant de manière à se trouver dans les conditions atmosphériques les plus favorables, ou du moins évitant les zones où soufflent des vents contraires à l’époque de leurs passages. Des mouvements saisonniers semblables ont lieu dans l’Atlantique, par exemple celui du pétrel de Wilson (Oceanites oceanicus ).

Les albatros antarctiques font le tour du globe à travers les océans en se laissant emporter par les vents d’ouest qui soufflent à ces basses latitudes. Un albatros hurleur, bagué très jeune à Kerguelen, a été retrouvé dix mois plus tard sur la côte chilienne, après avoir parcouru quelque 18 000 km.

Les sternes arctiques (Sterna paradisaea ), qui nichent le long des côtes les plus septentrionales de l’Europe, de l’Asie et de l’Amérique, hivernent dans les secteurs antarctiques de l’Atlantique et du Pacifique, en bordure des glaces flottantes. Un individu, bagué sur les côtes de la mer Blanche a été repris à Freemantle, Australie, à 14 000 km de sa colonie de nidification (fig. 6).

Même les manchots, pourtant privés de la faculté de voler, migrent régulièrement à la nage sur des distances considérables. Les espèces antarctiques se dispersent largement après la reproduction et mènent une existence pélagique qui les entraîne loin vers le nord.

Caractères généraux

Les migrateurs suivent des routes souvent bien définies, déterminées par les conditions locales, avant tout les grands traits de la topographie (systèmes fluviaux, lignes de côtes, facteurs écologiques). Les conditions météorologiques ont également une très grande importance, les oiseaux modifiant leurs itinéraires en fonction de la direction et de la force du vent. La vitesse des déplacements, en général supérieure à la vitesse habituelle, varie selon les groupes envisagés et est en général comprise entre 25 et 90 km/h. De telles vitesses permettraient aux migrateurs d’atteindre leurs quartiers d’hiver dans un temps relativement court, si les vols ne comportaient de nombreuses interruptions. On a calculé que la pie-grièche écorcheur (Lanius collurio ) parcourt 1 000 km en cinq jours, son emploi du temps étant de deux nuits pour la migration, trois nuits pour le repos et le reste pour la collecte des aliments. La migration prénuptiale est en général plus rapide que la migration postnuptiale.

La plupart des migrations ont lieu à altitude relativement basse (les passereaux volent en dessous de 70 m). Toutefois, des migrateurs ont été observés jusqu’à 3 000 m. Le record est détenu par des oies observées en Inde à 9 000 m, performance extraordinaire vu la baisse de température et la raréfaction de l’air à cette altitude.

Certains oiseaux migrent de jour, comme les pélicans, les cigognes, les rapaces, les martinets et les hirondelles; d’autres de nuit, tels les limicoles, les coucous et la plupart des passereaux insectivores.

La plupart des oiseaux sont grégaires au cours de leurs migrations, y compris beaucoup de ceux qui, comme les passereaux insectivores, manifestent des comportements territoriaux très individualisés pendant la reproduction. Ils se déplacent volontiers en bandes, parfois très nombreuses, dont les membres communiquent entre eux par des cris d’appel caractéristiques. Certaines espèces, comme les pélicans, les grues, les oies et les canards, volent souvent en formation de V renversé ou en ligne.

Mammifères

Les déplacements saisonniers sont moins répandus chez les mammifères que chez les oiseaux, du moins parmi les formes terrestres, la marche n’étant pas un mode de locomotion rapide et économique sur de longues distances. Toutefois, les grands Ongulés habitant des régions soumises à d’importantes fluctuations climatiques parcourent des distances considérables, de plusieurs milliers de kilomètres chaque année.

En Amérique du Nord, les caribous (Rangifer tarandus ) passent l’été dans la toundra arctique, puis, dès le mois de juillet, refluent vers le sud en vue de passer l’hiver dans les forêts. Leurs migrations suivent des routes immuables le long desquelles ils parcourent une soixantaine de kilomètres par jour en troupeaux atteignant des milliers d’individus. Les bisons (Bison bison ) migraient jadis en troupes énormes à travers les grandes plaines américaines, gagnant le sud en hiver, puis remontant passer l’été de 300 à 600 km plus au nord.

En Afrique, les Ongulés des savanes se déplacent sur des distances considérables au cours de mouvements ayant l’allure de migrations. C’est notamment le cas des gnous (Connochaetes taurinus ) et des zèbres habitant les savanes de l’Est africain, qui se dispersent largement au cours de la saison des pluies, mais se concentrent autour des points d’eau pendant les périodes sèches.

En Afrique du Sud, les springboks (Antidorcas marsupialis ), aujourd’hui en grande partie éliminés, migraient au gré des saisons par troupeaux comptant des millions d’individus, fuyant les lieux devenus trop arides. Ces déplacements en troupes denses se terminaient souvent par de véritables désastres, les animaux mourant par milliers des effets de la famine, du manque d’eau, d’épizooties ou de noyade au cours de traversées de rivières. C’était alors un moyen de contrôle naturel des populations.

Les chauves-souris doivent à leur qualité de bons voiliers la possibilité de se déplacer rapidement et avec économie. Aussi beaucoup d’entre elles sont-elles des migrateurs, bien qu’elles aient la possibilité de se réfugier dans des lieux abrités (grottes par exemple) et de se soustraire aux effets des conditions ambiantes défavorables par hibernation. En Europe, les minioptères de Schreibers (Miniopterus Schreibersi ), les pipistrelles (Pipistrellus pipistrellus ) et les grands murins (Myotis myotis ) migrent volontiers vers le sud en hiver, parcourant jusqu’à 300 km pour trouver des refuges adéquats. On a observé des barbastelles (Barbastella barbastella ) et des molosses (Tadarida taeniotis ) migrant comme des oiseaux, et parfois en leur compagnie, par des cols des Alpes ou du Jura.

En Amérique du Nord, plusieurs chauves-souris (Lasiurus borealis, L. cinereus et Lasionycteris noctivagans ) sont de véritables migrateurs qui passent l’été au Canada et dans le Nord des États-Unis, et hivernent en Georgie, en Caroline et en Floride où elles se rendent dès le mois d’août en suivant des voies multiples, certaines longeant les côtes.

Les Mammifères aquatiques sont eux aussi capables de répondre aux fluctuations annuelles du climat par des déplacements de grande envergure. C’est le cas des cétacés et notamment des rorquals antarctiques dont on a étudié les migrations par des marquages avec des tubes numérotés fichés dans la graisse à l’aide de projectiles. Au cours de l’hiver austral, ces Baleinoptères migrent vers le nord, notamment vers le nord-ouest de l’Afrique, le golfe d’Aden et le golfe du Bengale, zones dont la haute productivité biologique garantit aux migrateurs une nourriture abondante. Les Cétacés arctiques ont un comportement migratoire analogue dans le Pacifique et dans l’Atlantique, et suivent des routes immuables d’année en année. En hiver, les populations du Pacifique nord se réfugient en partie dans l’océan Indien et dans les mers baignant l’Indonésie (fig. 4 et 5).

Parmi les Pinnipèdes, quelques espèces sont nettement migratrices. Le phoque du Groenland (Pagophilus Groenlandicus ) se tient en été à la limite des glaces et descend vers le sud pour se reproduire dans la mer Blanche et dans l’Atlantique occidental, notamment autour de Terre-Neuve, où la mise bas a lieu entre janvier et avril. L’otarie à fourrure des Pribilov (Callorhinus ursinus ) ne se reproduit que sur les grèves de ces îles, où les populations se concentrent de mai à novembre; puis celles-ci se dispersent en haute mer, les mâles demeurant dans le golfe d’Alaska, mais les femelles atteignant la Basse-Californie, à quelque 4 500 km de leur habitat estival.

3. Problèmes biologiques Déterminisme

Bien qu’il fasse appel à des mécanismes physiologiques assez uniformes, le déterminisme de l’impulsion migratoire varie dans une large mesure selon les groupes animaux envisagés. Comme la reproduction, les migrations s’intègrent dans le cycle annuel des animaux dont toutes les phases dépendent d’un rythme physiologique très complexe affectant l’ensemble de l’organisme et particulièrement les glandes endocrines et les gonades. Elles sont par ailleurs corrélatives de variations qualitatives et quantitatives du métabolisme. Chez les oiseaux, où le déterminisme des migrations est relativement bien connu, les différentes phases du cycle annuel d’un migrateur, se plaçant en une séquence rigoureuse, sont sous l’influence de trois sortes de facteurs, agissant d’une manière complémentaire.

Les facteurs internes se rattachent aux mécanismes hormonaux intéressant l’ensemble de l’organisme par l’intermédiaire de l’hypophyse. Cette glande possède un rythme intrinsèque propre indépendant de l’action des facteurs externes; son fonctionnement cyclique est encore mal connu. L’existence d’un rythme héréditaire est confirmée par le fait que, parmi les populations migratrices d’une même espèce, se mélangeant en hivernage entre elles et avec des populations sédentaires de la même espèce, chacune a sa propre chronologie d’évolution physiologique. Ainsi, les diverses races de bergeronnettes printanières (Motacilla flava ) hivernant en Afrique centrale ont un «calendrier physiologique» fixé génétiquement en fonction des conditions climatiques de l’aire de reproduction, bien que toutes les races soient soumises aux conditions identiques de la zone d’hivernage.

L’influence des facteurs externes se manifeste surtout par le biais des variations de la photopériode . De multiples changements physiologiques peuvent être déclenchés en modifiant artificiellement la durée d’éclairement quotidien. La croissance ou l’involution des gonades dépendent de la photopériode chez tous les oiseaux ainsi que, chez les seules espèces ou populations migratrices, un engraissement notable, consécutif aux modifications profondes du métabolisme. Au cours de la phase prémigratoire, le métabolisme subit des changements, se traduisant en particulier par le dépôt de graisses, si bien que le poids atteint alors son maximum annuel: des fauvettes rayées américaines (Dendroica striata ) pesant 10 à 12 g en période normale atteignent 20 à 23 g juste avant leur migration postnuptiale. Tous les migrateurs témoignent d’une hyperphagie évidente et d’une grande facilité à reconstituer leurs réserves lipidiques.

Ces deux facteurs, rythme propre de l’hypophyse et influence de la photopériode s’exerçant d’une manière très variable selon les saisons et les latitudes, déterminent chez les migrateurs divers changements qui les mettent dans une disposition prémigratoire. En plus des signes physiologiques déjà mentionnés, les oiseaux manifestent une agitation toute particulière; il existe même une activité nocturne assez étonnante chez les espèces strictement diurnes en période normale. Cette véritable «crise» physiologique met l’oiseau migrateur dans une disposition favorable en vue de la dépense énergétique que comportent les déplacements.

Ces changements interviennent avec des modalités différentes au cours de la migration postnuptiale ou de la migration prénuptiale. Après la reproduction peut exister une période réfractaire pendant laquelle les oiseaux ne sont pas sensibles à l’allongement de la photopériode. Cela leur évite de se mettre à nicher ou de repartir en migration si, quittant leurs territoires de nidification en automne, ils se réfugient dans des quartiers d’hiver situés dans l’hémisphère opposé, où les jours, déjà plus longs, augmentent encore.

Les facteurs évoqués ci-dessus pourraient conférer une rigueur presque mathématique au déterminisme de la migration, le cycle de l’hypophyse étant strictement fixé et les variations de la photopériode liées à un phénomène cosmique. Les voyages migratoires se feraient alors à dates absolument fixes, ce qui aurait des conséquences fâcheuses du fait de l’irrégularité de la venue des périodes favorables ou défavorables, jamais liées étroitement aux saisons astronomiques. En fait, la migration est déclenchée par divers facteurs déterminants agissant par l’intermédiaire de leur influence sur le métabolisme. Au nombre de ces stimuli, la quantité d’aliments disponibles joue un rôle important; leur pénurie provoque le départ. La température a, elle aussi, une action fort nette. Mais des facteurs psychologiques consécutifs au grégarisme interviennent également, les individus dominants, mus par une stimulation plus forte, entraînant les autres.

Dans le déterminisme des migrations, la part des divers facteurs mentionnés ci-dessus varie dans une large mesure. Par exemple, chez les oiseaux, existent de véritables opportunistes, pour lesquels les différentes modalités du voyage paraissent dépendre du baromètre et du thermomètre. Leur ajustement immédiat aux conditions du milieu explique la variabilité de leurs déplacements migratoires. C’est le cas de passereaux comme les hirondelles et de la plupart des canards, qui demeurent d’ailleurs pendant toute la période d’hivernage dans un état de réceptivité vis-à-vis des conditions ambiantes, ce qui leur permet une réponse immédiate aux fluctuations du milieu par l’intermédiaire d’un ajustement écologique et physiologique important pour leur survie. En revanche, d’autres migrateurs, comme les martinets, manifestent une plus grande indépendance à l’égard des facteurs du milieu et paraissent régis avant tout par leur cycle interne et les variations de la photopériode. Les modalités de leur cycle migratoire sont ainsi plus strictes et varient peu d’année en année, notamment quant à la chronologie des déplacements.

Le déterminisme des migrations est beaucoup moins bien connu en ce qui concerne les autres groupes animaux. Il est cependant certain que les facteurs mis en évidence chez les oiseaux interviennent de la même manière. Les conditions écologiques jouent un grand rôle chez les mammifères, notamment chez les ongulés dont les migrations suivent le rythme de la végétation. Les baleines (fig. 4 et 5) quittent les océans antarctiques à l’arrivée de l’hiver dès que les conditions deviennent défavorables aux populations planctoniques dont se nourrissent ces grands cétacés. Les constantes physiques (pH, salinité, luminosité, courants) et biotiques différentes des grandes masses d’eau en mouvement sont en étroit rapport avec les migrations des poissons, qu’elles déterminent par suite de mécanismes physiologiques contrôlant l’osmorégulation et le métabolisme.

Mais il ne faut pas méconnaître que des causes physiologiques profondes rendent obligatoire, à un moment donné, un changement d’habitat en modifiant les conditions d’équilibre par rapport à un milieu qui n’a subi aucun changement apparent. L’hyperthyroïdie semble être d’une grande importance dans les mouvements d’avalaison chez l’anguille et le saumon. Comme chez les oiseaux, il semble que les cycles endocriniens des poissons passent par certaines phases d’hyperfonctionnement ou de dysfonctionnement plus accentuées chez les migrateurs que chez les espèces sédentaires, certaines rendant les individus plus sensibles à l’action des facteurs externes.

Mécanismes de l’orientation

Les repères olfactifs jouent un rôle important chez les poissons et peut-être chez les mammifères, mais l’orientation des oiseaux et sans doute d’autres animaux [cf. ORIENTATION ANIMALE] met en jeu une véritable navigation d’après des repères astronomiques.

Excepté pour les oiseaux, les problèmes que posent l’orientation et ses mécanismes physiologiques sont mal connus. On sait que divers invertébrés, notamment des crustacés comme les talitres, et des insectes (Scarabéides, Carabiques, Hyménoptères) ainsi que divers poissons, les saumons par exemple, sont capables de s’orienter d’après le soleil. Il est probable que des mécanismes psychophysiologiques et physiologiques du même ordre entrent en jeu chez ces animaux.

Grégarisme des migrateurs

D’une manière très générale, les migrations sont le fait de populations entières et s’effectuent toujours d’une manière collective. Presque tous les migrateurs témoignent d’une sociabilité très développée, comme on le remarque dans le cas des bancs de poissons, des troupes de mammifères ou des bandes d’insectes. Parmi les oiseaux, même chez les espèces où l’individualisme est très marqué pendant la reproduction, certaines peuvent grouper des dizaines de milliers d’individus (limicoles) rassemblés en bandes uni- ou plurispécifiques. Certaines ont une structure sociale, d’autres représentent de simples concentrations.

Ce grégarisme correspond, sur le plan physiologique, à la régression des gonades, entraînant la perte des comportements de territorialité et d’agressivité. On remarquera d’ailleurs que, chez les oiseaux, les plumages d’éclipse que présentent beaucoup de migrateurs sont dépourvus de toutes les plages voyantes constituant des stimuli-signaux utilisés dans les comportements agressifs. En revanche, les plages colorées servant à maintenir la cohésion des troupes subsistent et jouent même un rôle de première importance, tout comme les cris d’appel et de rassemblement.

Origine des migrations

L’origine des migrations reste du domaine de l’hypothèse. Elles s’expliquent manifestement en fonction du pouvoir d’adaptation des animaux, qui a évolué selon les modifications géographiques et climatiques survenues depuis le Tertiaire, principalement au cours du Quaternaire.

Les migrations ne sont apparues que dans les habitats soumis à des fluctuations de grande amplitude du climat et de la biomasse consommable. Elles se sont sans aucun doute différenciées très progressivement, comme le laissent penser les divers stades que l’on remarque actuellement parmi les oiseaux et les mammifères. Certaines espèces se contentent de changer d’habitat, d’autres se livrent à un erratisme comportant parfois des directions dominantes vers les lieux les plus favorables, ce que l’on peut considérer comme le premier stade d’une migration véritable. Le phénomène se serait progressivement accentué chez les espèces pour lesquelles il constitue un réel avantage. La sélection naturelle aurait permis aux individus migrateurs de se perpétuer, alors que les autres disparaissaient. Le caractère migrateur se serait d’autant plus vite affirmé que la pression du milieu était plus forte.

On signalera que les migrateurs se divisent en deux groupes selon leur origine. Au cours de leur évolution, certains ont quitté les centres de différenciation du groupe auquel ils appartenaient pour aller se reproduire dans une aire nouvelle, évacuée à l’époque défavorable. D’autres au contraire se sont différenciés dans leur aire de reproduction, qu’ils ont dû «apprendre» à quitter régulièrement au cours du cycle annuel par suite de l’existence d’une période défavorable. Parmi les oiseaux européens, le guêpier, la huppe, le rollier et les martinets sont à ranger dans la première catégorie; les oies, les cygnes, les canards et les limicoles dans la seconde.

Évolution des migrateurs

Les espèces migratrices ont un pouvoir d’expansion très développé. Les migrations ont notamment contribué au peuplement de certains territoires faisant partie de l’aire actuelle de l’espèce. Les migrateurs sont souvent astreints à passer par des lieux où certaines populations de passage ont établi des colonies devenues sédentaires. C’est ainsi que l’on explique la présence de corneilles mantelées (Corvus cornix ) nidificatrices en Égypte et dans le golfe Persique, descendant d’individus qui se seraient sédentarisés quelque part sur leurs anciennes routes de migration [cf. SPÉCIATION].

Le comportement migratoire n’a pas été sans imposer aux animaux certains caractères morphologiques propres que l’on peut expliquer par la sélection naturelle. Les déplacements exigent un effort considérable, ce qui favorise les plus aptes des voyageurs. C’est ainsi que l’on peut interpréter chez les oiseaux les aptitudes au vol plus développées chez les migrateurs que chez les sédentaires. L’aile tout entière semble subir un allongement chez les espèces migratrices car, étant fine et étroite, elle est beaucoup plus efficace et assure un vol plus rapide. On remarquera de même que les poissons migrateurs sont robustes et bons nageurs, et que les insectes se livrant à des déplacements saisonniers ont un vol aisé et soutenu, comme c’est le cas des formes migratrices de criquets.

L’influence des migrations sur la différenciation des formes, et notamment la spéciation, sont de ce fait évidentes. En rendant possible la colonisation de certaines aires habitables une partie de l’année seulement, elles ont permis l’évolution de formes particulières, dont beaucoup ont atteint le stade spécifique. Pourtant, dans certains cas, aucun critère morphologique ne peut encore séparer de simples populations qui pourtant se distinguent par leurs comportements migratoires et leurs cycles physiologiques.

4. Importance écologique des migrations

Les migrations ont de nombreuses implications écologiques et permettent l’utilisation optimale des ressources de certains habitats, qui sans l’existence de populations fluctuantes demeureraient inexploitées. Leur cycle est étroitement adapté à celui des écosystèmes présentant d’amples fluctuations de la productivité. Les populations migratrices mettent à profit les «pics», puis évacuent l’habitat quand la biomasse consommable diminue. Au sein d’une même communauté, elles ne concernent que les animaux se trouvant aux niveaux trophiques sujets à des fluctuations importantes.

Ces constatations s’appliquent à la zone de reproduction et aussi aux quartiers d’hiver. Les populations migratrices profitent d’une capacité limite d’un niveau supérieur au moment où elles séjournent dans une région déterminée, par suite d’une productivité saisonnière plus élevée; puis elles la quittent quand la biomasse consommable régresse et que s’installe une période de disette, pouvant aller jusqu’à la disparition totale de la nourriture convenant à un type donné d’animal dans une région déterminée.

Les corrélations entre la productivité et les déplacements migratoires sont particulièrement apparentes dans le cas des oiseaux migrant des régions arctiques aux savanes tropicales. Dans l’Arctique, la productivité végétale et animale est très élevée pendant une courte période estivale; canards et limicoles en profitent pour nicher. À l’arrivée de l’hiver, précoce aux hautes latitudes, les oiseaux migrent vers le sud et vont hiverner dans les savanes africaines, du Sénégal au Soudan. Les pluies estivales y ont créé des conditions très favorables aux oiseaux aquatiques qui s’y réfugient en troupes nombreuses, se déplaçant en fonction des modifications écologiques entraînées par le retrait des eaux. Ces migrateurs repartent au printemps quand la sécheresse a rendu l’habitat défavorable; mais leur aire de reproduction ne tardera pas à s’ouvrir à nouveau à eux. Des constatations analogues s’appliquent aux autres migrateurs, dont le cycle de déplacement suit presque toujours exactement celui des variations de la quantité de nourriture disponible.

Des populations fluctuantes exploitent ainsi les ressources de plusieurs habitats très différents à des époques décalées dans le cycle annuel, mais les unes comme les autres sont caractérisées par la biomasse consommable la plus élevée. Cet ajustement se fait avec la plus grande précision dans la chronologie des déplacements. La disponibilité et l’accessibilité de la nourriture interviennent au même titre que sa quantité en valeur absolue.

En outre, la dispersion d’une population donnée sur de vastes étendues au cours de son cycle annuel permet l’exploitation de ressources qui seraient autrement hors de portée. C’est ainsi que, au moment de la reproduction, les poissons vivent dans des eaux ayant des caractéristiques physiques (et biotiques) très précises; ils peuvent s’en évader en dehors de la période de reproduction pour se tenir dans des eaux ayant des conditions océanographiques différentes, mais des ressources alimentaires importantes. Cela est encore plus apparent dans le cas des oiseaux de mer. À l’époque de la reproduction, les oiseaux pélagiques sont obligatoirement confinés à certains secteurs des océans en raison de la nécessité d’établir leurs nids sur des terres. Ils ne peuvent donc exploiter que les ressources d’une aire limitée, d’un rayon compatible avec leurs performances de voiliers. Mais, en dehors de la période de reproduction, leur dispersion à grande échelle, sans attache à un point quelconque, leur ouvre des zones riches en aliments qui autrement seraient inexploités (fig. 6).

Ces adaptations écologiques précises doivent être examinées en relation avec l’origine et l’évolution des migrations. Elles ont un très grand intérêt scientifique, qui à lui seul justifie les programmes d’étude des migrations. Mais elles doivent également être prises en considération en vue de l’aménagement des populations migratrices et de leur exploitation rationnelle par l’homme. On a déjà souligné la grande valeur économique des poissons marins migrateurs, dont l’importance des populations s’explique sans doute du fait des aires considérables qu’elles exploitent au cours d’un cycle annuel. Il en est de même d’autres animaux, notamment des oiseaux dont les espèces migratrices ont d’ailleurs un taux de natalité supérieur à celui des espèces sédentaires voisines. Un aménagement cynégétique rationnel de la sauvagine migratrice doit tenir compte des conditions régnant dans toutes les aires fréquentées successivement par une même population au cours d’un cycle annuel. Seule une connaissance approfondie des modalités écologiques des migrations permettra une utilisation rationnelle d’un capital naturel particulièrement bien adapté à des milieux soumis à des fluctuations cycliques de grande amplitude.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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